Black Hole

Black Hole, un ensemble de douze volumes réalisés par Charles Burns entre 1995 et 2005, édité en un seul ouvrage par les éditions Delcourt, un récit hypnotique et angoissant au coeur de l'adolescence américaine des années 70, une histoire de rencontres et de peurs mutuelles. Peurs du corps, des métamorphoses qu'il connaît mais surtout peurs des sentiments et de leur paradoxe. Le désir avec les doutes et les excès qui l'accompagnent. L'histoire est d'une beauté paradoxale, déroutante. Le synopsis est d'une violence et d'une horreur omniprésente, et s'il rappelle celui de certains films nauséeux, l'expérience de lecture est ici unique et vient révéler une richesse insoupçonnée. Le lecteur est ainsi confronté au silence évocateur du dessin, seul, il fait face aux planches obscures de Burns. Le trou noir est béant, son abysse n'a pas de fin. Des adolescents sont victimes d'une étrange épidémie qui transforme leur corps. Qui culpabilise leur sexualité. Les mutations engendrés les isolent, se greffent à leur peau toutes sortes d'anomalies. Ce synopsis de départ, anxiogène, permet à l'auteur de développer les sentiments de ses personnages, leur sexualité, entre désir et interdit,   il permet de s'intéresser au passage à l'âge adulte et étrangement malgré ces monstruosités, à l'amour entre deux êtres. 


Charles Burns dessine à l'encre noire, la noirceur du dessin laisse parfois entrevoir la clarté du corps, le blanc de la peau. Ce contraste permanent dans le graphisme de l'auteur est révélateur d'une histoire à double tranchant. Angoissante, elle s'avère être au fil des pages émouvante, touchante. Les regards lézardent au travers des cases, ils s'expriment au travers des mots. Sombre, cette histoire ne l'est que pour exprimer les pulsions de vie des personnages, qui enfermés dans leurs doutes, ne tendent qu'à l'osmose, qu'à l'union. 

Le mal qui ronge les personnages, leur culpabilité rappellent le péché originel. L'isolement qu'ils subissent, l'omniprésence des bois, de la forêt où l'on retrouve sur les branches des peaux de femmes muées, tout cela rappelle un Eden déserté et tranchant. Adam et Eve fragiles, proches des représentations de Van Eyck, les personnages de l'oeuvre de Charles Burns s'immiscent dans notre inconscient et suggère un imaginaire biblique universel, propre à chacun.


La peau, les sens deviennent des traits. Des tâches précises d'encre sur le papier. Les traits s'écartent, laissent deviner au coeur même du corps d'autres béances, celles de la chair, du sexe, des cicatrices ouvertes que l'on découvre. Cette chair, blessée, ouverte est un prétexte, elle permet de découvrir Chris, cette reine qui mue, cet étrange serpent qu'elle semble être. Blessée, elle laisse faire, elle lui fait confiance. 

"I was touching her and she didn't seem to mind."

"I had to show Chris I could take care of her... 
that I'd be there for her."

Peut être est-ce cela aimer... Peut être est-ce cela de croire en l'autre... lui offrir nos plaies béantes comme autant de portes pour qu'il entre dans notre corps et découvre notre âme. Peut être est-ce simplement partager nos désirs et nos souffrances sans jamais cesser de croire en l'autre, en sa capacité unique qu'il a d'aimer. 



La Naissance de Naruto

Dimanche soir, en quittant la montagne Sainte Geneviève à Paris, en tournant le dos au Panthéon, je me laisse maladroitement pousser par le vent vers cette pente, ce léger dénivelé qui me mène au boulevard Saint Germain et qui me fait découvrir en chemin une église, l'église Saint Ephrem mais aussi des ruelles qui mènent à l'école Polytechnique... Avant de retrouver la rue des écoles, je redécouvre comme je l'avais quitté au premier jour le Manga Café.  Là, un couple de jeunes adultes est absorbé dans la lecture de la Plaine du Kantô de Kazuo Kamimura, l'un contre l'autre dans leur canapé, de dehors je peux les voir... assise un peu plus loin une femme, d'une cinquantaine d'année lit le Journal de mon père de Jirô Taniguchi et dans ce silence, cette chaleur, d'autres plus jeunes terminent de lire le dernier tome de One Piece.  Le manga conquiert nos étagères, il s'affirme sous tous ces aspects, dans tous ces genres, de l'oeuvre de Ai Aizawa et son célèbre Nana, à celle de Naoki Urasawa et son magistral Pluto qui après le succès de 20th century boys rend hommage à l'oeuvre d'Osamu Tezuka . Un manga retient mon attention, il n'a besoin d'aucune publicité, ce manga n'est autre que Naruto de Masashi Kishimoto. La couverture m'intrigue, elle dégage une étrange sérénité , teintée d'une douce et amère mélancolie. Mais pourquoi, pourquoi cette couverture m'attire ? 



L'équipe de Littérature Graphique a été touché par ce nouvel opus. Touchée car c'est avec tendresse et avec pudeur qu'il raconte la naissance du jeune Naruto, ce shinobi qui porte, scellé en lui, le démon renard à neuf queues Kyubi. L'on dénigre souvent ces succès commerciaux, on leur préfère des oeuvres plus intimes, plus alternatives, dites d'auteurs. Or ces succès, ces oeuvres s'affirment désormais comme des classiques atemporels qui construisent en partie l'arrière plan culturel de nos sociétés. Comme ce fut le cas pour les romans feuilletons des gazettes du XIXème siècle dans lesquelles on publiait Alexandre Dumas. Il n'est pas rare que le manga abuse d'une trame scénaristique similaire, une trame qui consiste en l'art et la manière de prolonger un récit pour le plus grand plaisir du lecteur, mais qui surtout prolonge le succès d'une série au profit de son éditeur. En ce sens le manga peut sembler redondant et il n'est pas rare d'être frustré à la lecture de plusieurs volumes dits de "transition". 

Ce n'est pas le cas pour "La Naissance de Naruto" et pour l'oeuvre de Masashi Kishimoto en général dont la trame est extrêmement bien travaillée et dont le seul but est de révéler au lecteur des zones d'ombres qui planaient sur l'histoire depuis le premier opus. Le génie de l'auteur réside dans son aptitude à révéler les facettes d'un personnage que l'on pense connaître mais qui garde en lui une infinité d'états d'âmes et de secrets. Naruto Uzumaki a révélé tout le long de ce récit son caractère, son implacable solitude, son désir d'aimer et d'être aimé. Depuis le premier chapitre, Masashi Kishimito a réussi à nous transmettre les tourments et les désirs de ce jeune garçon qui malgré les obstacles n'abandonne pas son rêve. Mais alors pourquoi cette couverture semble si mystérieuse, pourquoi après tant d'années réussit-elle encore à nous convaincre, à nous donner l'envie de tourner les pages de ce recueil de dessins dérisoires ? 

Naruto est confronté à sa haine, à son démon intérieur Kyubi. A cette créature qui l'a privé du monde extérieur, qui l'a sans cesse réduit au rang de réceptacle. A cette créature qui a fait de lui un orphelin.


Naruto a su vivre avec, il a su aimer, s'entourer. Néanmoins, une inconnue demeure, oui, une inconnue demeure, que sait-il de ses parents ? D'eux il ne lui reste aucun souvenir. Masashi Kishimoto vient enfin révéler un secret qu'il a soigneusement gardé depuis tant d'années et, de la complexité d'une intrigue envoutante, il offre au lecteur un retour en arrière magistral, il offre au lecteur le récit d'une vie. 

Perdu dans ses pensées... que sait il de l'amour d'une mère pour son enfant ? Que sait il de tous les sacrifices qu'elle a enduré ? Que sait il de ses derniers regrets ? 

"Naruto, tu passeras par bien des épreuves... Mais n'oublie pas qui tu es ! Et poursuis tes rêves, réalise les, crois en toi ! ... Il y a tant de choses... tant de choses que j'aurais voulu t'enseigner. J'aurais voulu passer plus de temps avec toi... "



"...et t'aimer."