Publié dans la revue RAW de 1981 à 1991, MAUS, A Survivor's Tale est le témoignage douloureux que fait un père à son fils, le témoignage de Vladek Spiegelman à Art Spiegelman, le témoignage d'un homme qui vécu les années sombres qui précédèrent la fin de la seconde guerre mondiale. Une guerre qui en Pologne déversa ses horreurs bien avant son commencement en 1939, qui révéla l'obscurité de la nature humaine et surtout la folie meurtrière du nazisme. Pourtant si MAUS est un ouvrage de référence, s'il a obtenu le prix Pulitzer en 1992 c'est surtout parce qu'il réussit à transmettre la mémoire de la Shoah en décrivant le quotidien douloureux d'un homme face à l'histoire. MAUS est un ouvrage où étrangement l'on constate la terrible "banalité du mal" comme le décrira Hannah Arendt dans ses écrits, coupables les bourreaux le seront toujours mais là où l'horreur réside c'est que ces personnes étaient hélas bel et bien humaine. L'engrenage est réel, le récit d'une survie constante, des guettos aux camps d'Auschwitz, n'épargne personne pas même les lecteurs. L'auteur lui même témoigne de sa propre souffrance, de ses propres interrogations face à la réalisation d'un tel ouvrage.
Ce témoignage débute avec pudeur mais se déroule sans compromis ni complaisance, Art Spiegelman débute son récit très personnel par d'incessants allers retours, partagés entre ses entretiens à Rego Park aux côtés de son père et le récit de ce dernier qui prend forme tout en se mêlant à l'Histoire.
Très vite Art Spiegelman n'est plus l'enfant d'un père, il devient un passeur, à la fois étranger aux douleurs de son père à la fois lié de manière perpétuelle, de manière universelle à cet homme, comme tout être humain, comme les lecteurs que nous sommes. Il transmet un récit qui aurait pu, comme les carnets de sa mère Anja, disparaître.
Lors de la conférence de presse du Festival International de la Bande Dessinée, dans un entretien avec Jean-Luc Hees en décembre 2011 au Centre Pompidou à Paris, Art Spiegelman disait qu'il avait été étonné de voir son oeuvre qualifiée de fiction dans les lignes d'un quotidien américain de renom, et cela du fait de la représentation anthropomorphique de MAUS. Une représentation qui n'enleve rien à la véracité de son propos. Les souris, les chats, les porcs représentent autant d'identités, de "nationalités" qui marquent de leur empreinte le récit mais qui au détour d'une planche se confondront les unes, les autres, face à leur bourreaux. Qui dans la froideur des camps deviendront, rejoindront les centaines de milliers de juifs dont ils s'empressaient de se distinguer.
Art Spiegelman par son trait, par son texte, tous deux très denses, très contrastés, démontre combien l'image est vivante, combien à elle seule elle retranscrit les sentiments humains. Le 9ème Art, un art séquentiel par excellence n'hésite pas à se figer dans le mouvement permanent qu'il suppose. Ainsi une image seule se suffit parfois à elle-même et le talent de Art Spiegelman consiste à ne pas faire un usage excessif de ses dessins. Il a lui-même exprimé cette nécessité de rassembler dans une seule case des éléments utiles à la compréhension du récit tout en donnant au lecteur un éventail énorme d'informations. En deux planches, il réussit à exprimer la peur omniprésente d'un déporté, un jeune homme que Vladek tente de calmer, un jeune homme dont le cri fera écho dans les planches suivantes... Un cri d'angoisse qui sera alors celui de Vladek, lorsque dans ses nuits tourmentées, bien après la guerre, bien après les camps, il empêchera son fils de dormir.
Président du jury de la 39ème édition du Festival International de la Bande Dessinée qui se tiendra à Angoulême du 26 au 29 janvier 2012, Art Spiegelman verra son travail exposé dans une rétrospective qui s'annonce magistrale. La sélection officielle de cette 39ème édition comprend un éventail des récits les plus remarquables de l'année et notamment des ouvrages qui témoignent de l'Histoire récente où plus ancienne, de Reportages de Joe Sacco à l'Art de Voler de Kim et Altariba... L'Histoire... L'Histoire qui comprend autant d'histoires, des histoires personnelles, des vies bouleversées, le dessin permettant à ces spectres de vivre à nouveau et par l'universalité du trait d'être lues par tous, indifféremment de nos origines, de notre bord politique... Des histoires que le 9ème Art a choisi de raconter et qui sur le papier ont décidé de ne jamais disparaître, de rester et de témoigner pour que cette Histoire, elle, ne soit pas niée, qu'elle ne se répète pas, ne se répète plus.
Et pour qu'au delà de toutes les souffrances, qu'au delà de la haine, il puisse exister une transmission, la transmission d'une noblesse d'âme, celle du souvenir, de la mémoire. Nier cette mémoire, l'oublier ne serait-ce qu'un instant est criminel. Et la liberté, la vie, elle, ne demande qu'à habiter notre âme, qu'à la chérir... qu'à briser les barreaux de l'oubli.
Cet article m'a beaucoup aidé pour mon épreuve d'histoire des arts, merci
RépondreSupprimerC'est l'objectif du site. Merci pour ta lecture attentive.
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