Étranges destins que ceux de Nike, Amir et Leyla, trois orphelins de Sarajevo qui dans la noirceur épaisse du trait d'Enki Bilal se cherchent en permanence, se retrouvent, se séparent dans les leurres d'un monde accéléré en proie à l'obscurantisme religieux et à l'art total. "De quoi souffres-tu ? De l'irréel intact dans le réel dévasté..." ces mots de René Char pourraient exprimer à eux seuls la puissance narrative de l'auteur qu'est Enki Bilal tant l'art de ce dernier réside dans son aptitude à se positionner comme metteur en scène d'une pièce de théâtre dont il maîtrise parfaitement les dialogues de personnages extrêmement convainquants. Ces derniers semblent devenir peu à peu autonomes, affichant au cours des quatre actes qui composent cette tétralogie monstrueuse, une personnalité complexe en perpétuelle changement. L'expérience vient forger cette identité et le trait nerveux de l'auteur à la manière de Francis Bacon vient amplifier cette impression, le lecteur et les personnages ne ressortent pas indemnes d'un tel délire aux méandres insondables mais à la clairvoyance déconcertante.
Enki Bilal dans cette oeuvre vient décrire le monde tel qu'il est ou sera, il use et abuse de la description d'un futur proche pour mieux pointé du doigt les dérives obscurantistes de notre monde actuel. Visionnaire, l'auteur demeure néanmoins attaché aux sentiments, à l'Homme.
Son talent ne réside pas tant dans son aptitude à extrapoler la complexité du présent à un futur proche qu'il retranscrit et partage avec le lecteur, non, son art réside dans sa manière de décrire la passion, les rapports humains.
Humaniste, son oeuvre est extrêmement attachée à sonder les abysses de l'âme. Ainsi ce n'est pas un hasard si le personnage principal réussi à travailler sur sa mémoire, à se souvenir jusqu'aux premiers instants de sa vie. De cet effort permanent, il se souvient, à dix huit jours, il se souvient des mouches et de l'air tiède de l'été, de l’hôpital de Sarajevo, du trou béant qui surplombe les berceaux, d'Amir et Leyla, de l'enfer de la guerre.
Son talent ne réside pas tant dans son aptitude à extrapoler la complexité du présent à un futur proche qu'il retranscrit et partage avec le lecteur, non, son art réside dans sa manière de décrire la passion, les rapports humains.
Humaniste, son oeuvre est extrêmement attachée à sonder les abysses de l'âme. Ainsi ce n'est pas un hasard si le personnage principal réussi à travailler sur sa mémoire, à se souvenir jusqu'aux premiers instants de sa vie. De cet effort permanent, il se souvient, à dix huit jours, il se souvient des mouches et de l'air tiède de l'été, de l’hôpital de Sarajevo, du trou béant qui surplombe les berceaux, d'Amir et Leyla, de l'enfer de la guerre.
Le lecteur découvre la complexité d'un récit axé sur la rencontre, sur l'attente, sur la quête perpétuelle de l'autre. Un autre qui disparaît alors même qu'il s'accroche et dévore nos sentiments. Amir perd Sacha, elle est prise au piège, elle souffre. Amir se souvient qu'elle disait "Tu m'aimes, Amir ? Tu m'aimes ?" avant de répéter trois fois : "Tu m'aimes, tu m'aimes, tu m'aimes ?" lui, il esquivait en retournant la question : "Et toi Sacha, tu m'aimes ?" et elle de nouveau trois fois : "Je t'aime, je t'aime, je t'aime..."
L'autre change, il n'est plus le même. Enki Bilal provoque de magnifiques frustrations, de merveilleuses attentes. Les personnages ne savent plus s'ils sont eux mêmes ou s'ils sont habités, si leurs âmes a été volée par un quelconque procédé futuriste. Le lecteur en vient à douter, il s'étonne de certaines rencontres, il ne comprend pas la couleur pourpre et la sensualité d'un baiser sanglant, il ne sait plus s'il s'agit de Nike et d'une femme, d'un clone. Il est pris de vertige.
La mémoire, l'identité, le temps, le territoire, tout est disloqué, le monde et ses repères sont déroutants et c'est tout simplement parfait. Les lendemains deviennent des 32 décembre qui n'attendent qu'un réveil... celui d'un monstre. Un monstre qui dort dans notre conscience collective et qu'il faut apprivoiser, un trou béant dans notre âme. Si pour Friedrich Nietzsche il faut avoir du chaos en soi pour accoucher d'une étoile qui danse, alors Enki Bilal enfante dans sa tétralogie une beauté monstrueuse, un monstre magnifique.
Nike est dans le désert, le soleil brûle, il est passé par d’innombrables épreuves.
- Bonjour... Je cherche Leyla Mirkovic-Zohary... Maybe that's you ?
- Et vous, vous êtes Nike Hatzfeld... C'est vous qui avez appelé...
- Je vous dérange, peut être ?
- Vous tombez mal, je suis en train de perdre mon père...
- Désolé... Gravement malade ?..
- Non, gravement heureux.
Nike et Leyla se rencontrent enfin, ils sont dans le désert, le monstre est en sommeil, ils ne sont toujours pas réunis, il manque Amir... La chaleur de la planche de gauche n'est pas totale, le trou béant de la guerre est encore là, il les guette. Amir lui est dans un désert de glace, la chaleur de la rencontre, lui, il ne la connaît pas encore, il ne la connaît plus... Il est dans un froid polaire, il perd Sacha, il la perd. Elle, elle le prend pour cible, son regard est vide. Elle, en voulant le tuer, est déjà morte. Amir est seul, ils ne sont toujours pas réunis... La tétralogie ne fait que commencer, elle démarre, elle nous entraîne dans un univers que nous n'avions pas soupçonné. Ces quatre actes, notre impatience veut les dévorer un à un, elle veut en connaître l’apothéose, elle veut les conclure comme pour confirmer les propos de Francis Bacon, des propos critiquables, humains, trop humains : la fin du discours importe plus que son commencement.
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