MAMBO ... Une poésie graphique.


© Mambo, L'Association & Claire Braud
Edité par l’Association dans sa collection Eperluette en janvier 2011, Mambo est une poésie rocambolesque, haletante. Essoufflé le lecteur en redemande, la dernière case de chaque planche excite le regard, elle lui supplie de tourner la page, de ne pas profiter du dessin de Claire Braud, mais d’aller chercher l’aventure là où elle se trouve dans l’ordinaire extraordinaire du quotidien. Celui du bus, du bureau, de ces architectures, ces cabanons perdus dans des forêts marécageuses, des falaises monumentales loin étrangement des routes, des infrastructures froides.. loin des manifestations où la vindicte populaire vient à juste titre occuper les rues à cause “d’une tête de noeud (...) ah, non du président, pardon je n’ai pas suivi”... (Cliquer sur les planches et les dessins pour les lire et les agrandir.) 


Mais avant toute chose Mambo est l’histoire d’une attente. D’un amour qu’on espère et cherche alors que l’on sait exactement où il se trouve.

D’un amour qu’il faut convaincre, qu’il faut tenter d’apprivoiser, d’un autre que l’on a peur de décevoir et que l’on décevra maladroitement alors même qu’au fond de notre être nos actes n’exprimeront jamais la justesse de nos sentiments. D’un amour auquel il faut offrir du temps, offrir une distance car la rencontre si elle nous créé ne suffit pas, ne suffit plus. Apprendre à aimer c’est apprécier cette attente où l’autre n’est plus un être prévisible mais un être avec qui la prochaine rencontre sera incertaine...  Cette incertitude, cette frustration donne à la passion sa raison d’être car l’être aimé vient enfin jouer un rôle que l’on souhaite qu’il joue pour enfin se démarquer des autres, du quotidien. Cette attente est palpitante, le coeur est inquiet en permanence, bourré d’adrénaline, une inquiétude jouissive dans Mambo qui comme la danse rappelle à la fois les années folles mais surtout les années 50 et la frénésie de l’après guerre, les dessins de l’auteure viennent volontairement nous plonger dans une atmosphère de paradis perdu rétro à la fois kitch et chaleureux.  


Le lecteur en redemande mais finalement à bien y réfléchir l’apothéose de cette oeuvre est atteinte, la fin est intense, un point d’orgue volontairement silencieux que je vous invite à savourer... ce sentiment n’est pas immédiat mais il vient s’affirmer quelques minutes après avoir refermé le livre. Ce rythme haletant se retrouve dans une suite de plans, de zooms in zooms out permanents qui se suivent avec logique alors même que le rocambolesque rend les choses absolument incontrôlables. La poésie des images s’ajuste parfaitement à celle des mots, on oublie parfois qu’un mot est un mot et qu’un dessin est un dessin tant les deux se confondent par leur justesse. Les onomatopées viennent jouer un rôle très pertinent d’ailleurs, les bruits de mécaniques, les sons de la forêt, la frénésie du téléphone... ces onomatopées se dessinent en suivant le mouvement des objets qu'elles habitent et viennent offrir au lecteur une atmosphère qui le transporte dans l'histoire. 
Revenons à l’attente, au quotidien et surtout à la surprise, à l’incertitude.... Qui y-a-t-il de plus commun qu’un bus, que l’on emprunte quotidiennement... Qu’y a-t-il de plus commun que son chauffeur ? Ces deux séries de planches viennent donner à la partition de Mambo son fond sonore. Un fond qui devient le thème principal du récit auquel se grefferont par la suite une succession de péripéties. Ce thème, cette musique de fond sera peu à peu absente de l’image mais toujours présente à l'esprit du lecteur. En ce sens où chaque page tournée devient pour lui une constante quête de ce thème principal qu'est l'espérance. Dans les deux planches suivantes, ce thème prend tout son sens, l'héroïne est à bord du bus, un bus qu'elle a attendu comme à l'ordinaire... lorsqu'elle aperçoit un cavalier et extériorise son désir de liberté...


Mais ce thème principal, cette attente ne se révèle pas être celle que l'on croit. La liberté est là, à portée de main mais elle ne revêt pas le visage que l'on croyait, l'extraordinaire est là dans ce qu'il y a de plus ordinaire et se résume en une phrase... 


“L’on voit sous vos paupières closes, la hâte que vous avez d’aimer.”  Cette certitude de quitter l'ordinaire pour découvrir une nouvelle liberté, n'était-elle pas un mensonge ? Alors qu'en face de nous se trouve étrangement ce que l'on a toujours cherché pourquoi regarder par la fenêtre et croire à un lendemain meilleur alors même que ce lendemain sommeille en nous, en l'autre que l'on croit ne plus aimer, ne plus voir alors qu'il voit en nous, qu'il lit en nous.  Qu’y a-t-il de plus commun qu’un bus ? Qu’y a-t-il de plus anodin qu’un chauffeur de bus ? 




Ce regard que l’on porte sur l’ordinaire, il appartient à nous seul, de le rendre extraordinaire. Cette envie de croire en l’autre, elle ne se ressens pas, elle se provoque. En prendre conscience est ce qui s'avère être le plus difficile, et ce n'est pas une éternelle insatisfaction d'un quotidien perdu qui génère cette prise de conscience. Non. Cette personne en face de nous dans une bibliothèque, elle nous regarde, qu’a-t-elle de plus qu’une autre, elle est parfaitement ordinaire... Cette femme qui veut partager notre vie, qui est-elle ? Cet homme qui semble être prévisible, qui semble être le même, jour après jour qui est il finalement ? Nous ne savons rien de cet autre si ordinaire avec qui nous partageons notre quotidien et pourtant il est là caché, comme un fruit qu'il faut éplucher jusqu'au coeur.. qu’y a-t-il de plus commun qu’un homme et une femme ? Et pourtant... “Comme vous voudrez”, le regard change tout, ce regard fait de cette jeune femme dans une bibliothèque un trésor, fait de cet homme dans son attente un héros. Hugo Pratt a souvent partagé son amour de ce regard volontairement perdu, ne disait-il pas “heureux est le fou car il rêve les yeux ouverts” ? Quoiqu’il en soit si la Venise de Corto Maltese est une fable, s’il chute de ses toits en  tombant vers le haut et si les chats lui parlent c’est parce que ce quotidien n’existe et n’a de sens que si notre regard est emprunt d’une folie douce. Ne plus croire en cette folie douce, en cet amour c’est se trahir soi-même et sombrer peu à peu dans le néant de l’absurde. 

En cela Mambo n’est pas absurde, il nie l’absurdité mais affirme celle d’un monde sans imaginaire, d’un monde résigné qui n’attend plus, n’espère plus, ne désire plus en croyant trouver dans cette hypocrisie une quelconque liberté. L'important étant de se rendre compte que nos choix n'handicapent pas le désir de l'autre mais notre propre désir et qu'il faut du temps pour admettre que cet autre que l'on pense connaître, cet autre voit sous vos paupières closes, la hâte que vous avez d’aimer et malgré le temps passé à le connaître, à le voir, malgré la routine, cet autre vous venez juste de le rencontrer.


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